II - Je me fais un nom et des ronds


. 1 - Enfin là tout de suite, je me vends pour pas un rond

Te voilà plein de fougue et d’assurance, prêt à conquérir le monde ton iPad Pro16 sous le bras. Hola, calme-toi. Tu vas vite déchanter en constatant que tu es parti pour bosser pour pas un rond pendant encore un moment.
Alors pour pas un rond certes, mais avec la gloire dans le viseur. Bosse pour ton rayonnement, ta publicité, ton nom en tout petit dans les crédits en bas d’une toute petite page !
A l’instant T, ton objectif est de décrocher une publication dans un magazine, très certainement un magazine web d’ailleurs, mais on ne va pas chipoter. C'est cool. 

C’est beau tout ça “décrocher une publication” mais comment on fait ? Et bien avec un téléphone, et bim ! 
Tu fais le tour de la presse (web et papier) qui t’intéresse, tu notes scrupuleusement le nom des rédactrices de mode, directeurs artistiques, responsables photo / iconographes ou bien encore des stylistes et tu les appelles.

Je te préviens, ton coup de fil ne donnera rien. Ah, ça, tu t’y attendais pas à celle-là ! Nan, vraiment, ton coup de fil ne donnera rien. Au mieux tu parviendras à choper l’email de ladite personne, au mieux. Nan parce que généralement les meufs, quand t’appelles, elles sont en shootiiiiing ou à New-Yooooork (alors que pas du tout, elles sont au soldes de presse Isabelle Marant à Bastille les garces).
Et là, tu lui envoies très sobrement - toujours à ladite personne- un email de présentation de ton travail.
Tu oublies le style entretien d’embauche et lettre de motivation, tu te présentes simplement, straight to the pointement “blabla, je suis photographe, blabla, découvrir mon travail blabla, heureux de collaborer blabla. Nous rencontrer ? blabla”.

Je te préviens, ton email ne donnera rien. Ah, ça, tu t’y attendais toujours pas à celle-là ?! Ou du moins, pas dans l’immédiat, sinon ce serait trop facile. Jeune fou, tu te prends pour qui ? Mais un jour, un jour, un jeune up and coming webzine assoiffé de sang frais à peu de frais se souviendra qu’ils avaient vu des photos canons quelque part et avec un peu de chance ils retomberont sur ton site et t’appelleront pour te confier la réalisation d’une série de mode de 10/12 images sur leur dernier thème en vogue. Au choix : “Entre punk et preppy, le prunk”, “Entre bourgeois et grunge, le grungeois”, “Entre casual et glamour, le casuour”. (Ouais, j’ai fait bosser les meilleurs CR de BETC sur ce coup-là, j’avoue. Des mecs qui ont tout de pondu les mots fascinance et glamourisme...). 
Mais revenons-en à notre webitorial. Houra ! Profites-en pour être créatif. Les éditos c’est ta vitrine, ça doit en mettre plein les yeux. Tu auras tout le temps de faire des photos chiantes et conventionnelles quand tu feras de la pub. (Ouhlala, comment je balance des pavés dans la flaque moi).

LES EDITOS TU Y METS DES IDEES PERSONNELLES, CATCHY ET REFLECHIES. ET DE MANIERE GENERALE, TU T’APPLIQUES. TU CREUSES. TU PEAUFINES. 

Note que tu ne seras pas payé - ou alors très légèrement défrayé - mais tu auras les arguments nécessaires pour réunir autour de toi une équipe pro : tu vas tout de suite appeler coiff-maq, styliste (s’il n’est pas fourni par le magazine) et agences de mannequin en leur balançant, fier comme un paon, “bonjour, je cherche deux rousses d’1m80 pour un édito mode pour le mag XXX. Je fais un casting demain. Merci”. Tu vas aussi t’assurer que le mag s’occupe de la retouche ou bien défraie un retoucheur digne de ce nom. Attention : les studios, sauf rare exception, ne prêtent pas de plateaux, ils louent juste à un tarif édito moins cher que le tarif pub. Arrange-toi pour que le magazine gère et règle la location du studio en direct, ça t’évitera d’avoir l’air con devant l’addition des petits “à-côtés” : facture d’électricité, cafés, heures supp, rouleau fond papier…
Quand, enfin!!! ta publication paraît, fais-en des caisses pour la promouvoir. Peu de gens finalement la verront dans son support original (voire personne si tu t’es dégoté un obscur zine alt bolivien)… Alors poste et reposte-la sur l’Internet (et la newsletter, tu te souviens de la newsletter ? ) et fais-en de beaux tirages pour ton book/iPad.

Yeah, c’est un (très) bon début.

Mais tu es toujours aussi pauvre. C'est combien déjà le loyer un studio à Paris ? Ouch.


Note 2015 de l'auteur (moi, donc) : Il m'arrive de parler de Paris. Et jamais d'une autre ville française. Ben oui, sois pas con.


. 2 - Je gagne mes premiers euros avec la photo (woputain il était temps).


De plans pourris en éditos gratis, tu t’es affirmé, ton book s’est étoffé et tu commences à avoir une bonne réputation professionnelle. Il faut battre le fer tant qu’il est chaud !
Vise plus haut ! Contact des magazines connus, tirés sur papier ou avec des big followers. Comment ? Répète les démarches citées plus haut et tiens-toi droit.
Pour info, les magazines notoires payent la production d’un côté (studio, coiff-maq, styliste, mannequins, catering, retouches etc) et le photographe de l’autre, avec un tarif à la page allant de 150 et 350 € la page, plus si tu fais la couverture. Par exemple, s’ils publient ta série sur 6 pages, tu peux donc espérer te mettre dans la poche entre 900 et 2 100 €, moi je dis que ça se prend. Certains petits/moyens magazines, c’est plus rare, t’allouent un budget de prod (entre 1 000 € et 2 000 €) que tu gères comme tu l’entends pour produire ta série. Si t’es un bâtard et que tu ne payes personne dans ton équipe, tu te les mets dans la poche sans rien dire. Victoire, 2 mois de loyers de bâtard !
Il est communément accepté que le next step dans ta carrière sera la réalisation d’un lookbook, tout du moins si tu es photographe de mode / beauté ou nature morte / déco comme l’immense majorité des jeunes photographes.
Un lookbook se caractérise par sa simplicité - un mannequin devant un fond blanc ou neutre qui parfois tourne un peu la tête pour "animer la mise en page" - et son petit budget. Et il se réalise presque toujours en direct (sans le biais d’une agence de pub). Là, c’est toi qui vas devoir négocier au mieux avec ton client un tarif à la journée ou un forfait pour l’ensemble de la production. Une idée des tarifs ? Difficile, il n’y a pas vraiment de règle de ce côté-là. Ca va de “pas bézèfe”, genre un forfait de 1 500 € comprenant les honoraires (4/5 jours de shoot ou 150 images), les droits d’utilisation et la retouche, à “nettement plus confortable”, genre 40 000 € pour la même chose. Ca dépend vraiment de la marque, bah ouais. Il faut parler avec ton client, négocier, proposer, renégocier… et tomber d’accord sur quelque chose de convenable.
Comment décrocher un lookbook ? En faisant du gringue à tous/toutes les chargés de communication & marketing ou aux directeurs artistiques des marques de fringues/ accessoires ou tout autre truc photographiable vendu en boutique.
Variante du lookbook : le dossier de presse, la brochure, la petite photo pour les réseaux, le e-shop etc.

Et l’ascension continue ! Tu voilà sur le point de décrocher une campagne de pub, yeah !

C’est quoi la différence entre un lookbook et une campagne ? Et bien je te répondrai : le budget, la crédibilité, l’impact. La difficulté aussi. On n’a rien sans rien Blanche Neige. 
En tout cas, que ce soit pour un lookbook ou une campagne, une marque qui veut des photos doit mettre la main au portefeuille. C’est la loi du business, sois ferme là-dessus et résiste à la tentation de te brader en-deça du raisonnable (le loyer, mec, le loyer !) mais d’un autre côté, ne flambe pas en demandant trop cher parce que “Oui mais Mert&Marcus ils prennent 2 millions sur L’Oreal”, tu aurais juste l’air d’un abruti). 

Tu vas donc devoir établir un beau devis, très précis et juste. Bon courage.
Hors production, ton devis comporte au moins 2 ou 3 grandes lignes, à savoir : tes honoraires, tes droits d’auteur et éventuellement ton assistant + frais (location lumières, capture numérique / digital operator, retouche si c’est toi qui la fais etc).
Les honoraires se calculent en fonction de ton expérience, ta notoriété et … du budget de ton client. Même si tu es débutant dans la pub (pas dans la photo !), j’ai du mal à imaginer que tu te vendes à moins de 1 500 €/ jour. Et dès que tu ne seras plus un bleu-bite, je compte sur toi pour graduellement augmenter tes hono jusqu’à te situer dans une fourchette allant de 2 000 à 3 000 € / jour. Plus haut, ça se mérite et ça demande généralement plusieurs années de pratique. Ne brûle pas les étapes, tu te grillerais salement dans le métier.
Les droits d’utilisation se calculent … en fonction des utilisations de la campagne, c’est pas con hein ?  Il existe des grilles-type mais c’est souvent trop rigide. Là encore, il faut discuter, parfois longtemps, avec ton client pour arriver à une entente sur les droits. Il faut savoir s’il y aura de l’affichage (quel format ?), des annonces presse (combien de parutions ? dans combien de titres ?), du web (bannières ou site annonceur ? pub facebook ? ), Instagram, de la PLV, des RP etc etc etc, au secours me crieras-tu !!!
Un agent par exemple, il connait tout ça par coeur, il deal des droits tous les jours, il SAIT quel prix demander. Mais là, je ne peux pas te donner de fourchettes de tarifs tant les droits se traitent au cas par cas mais sache tout de même qu’il ne faut jamais signer une cession de droits complète pour une durée indéterminée, qui plus est gratuitement ! Ce n’est pas possible. CA N’EXISTE PAS.
Les droits rentrent TOUJOURS dans un triangle utilisations / territoire / durée. Exemple : annonces presse, France, 3 mois.


Une fois que tu as fait valider ton devis, c’est à dire que le client l’a signé ou qu’il t’a envoyé un bon de commande ou, au moins, qu’il t’a donné par écrit son accord (sans ça c’est comme si tu travaillais sans contrat de travail et donc sans garantie d’être payé), la prod va pouvoir être montée, tu vas pouvoir shooter, tes visuels vous pouvoir être validés, retouchés, maquettés, revalidés, imprimés et diffusés. Houra !!!
Après tout ça, tu pourras toi aussi diffuser tes images et montrer à la face du monde l’étendue de ton talent.
Ensuite, si tout se passe bien, ça doit pouvoir s’enchaîner pour toi.
Une fois que tu as shooté une campagne, si possible avec pour un client connu (j’ai pas dit Prada hein, j’ai juste dit connu) ça rassure de potentiels futurs clients “Oh ah oui quand même, il a déjà shooté pour Machin, je suis vachement rassuré.” Pense donc à créer la liste de tes clients sur ton site, c’est pas obligatoire mais ça se fait et les gens adooorent que tu leur énumères le nom des boîtes - connues - avec qui tu as déjà collaboré.


Note 2015 de l'auteur (moi, donc) : Je pourrais parler de tous les clients qui payent mal, en retard ou ... jamais. Mais ça me fait déjà mal à la tête et ça me fatigue trop. En tout cas, ne t'attend jamais à être payé à l'heure, estime-toi heureux si tu es payé à 3 mois et vas crever des pneus si tu ne l'es toujours pas à 6.
Pour moi par exemple, la palme des mauvais payeurs revient à d'Amish Boyish / Lickshot entertainment. A fuir, sauf si tu aimes perdre de l'argent en travaillant. Chacun son truc.


Ah si, quand même, un jour j'aimerais bien monter un site genre VDM ou Mon Connard pour afficher les mauvais payeurs. Ce serait sobre, clair, efficace, sans aucune insulte et ça permettrait de signaler les clients pourris.  

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