IV - Ouais, je bosse dans la pub ouais.


A ce moment précis de ta vie, tu as l’impression que tu as réussi.
Certes, d’une certaine façon tu as gagné, mais la pub… c’est comment sous les jupes de la pub ?

. 1 - La réalité réelle d’une campagne de pub

On va partir du principe que tu enchaînes les contrats, OK.
Un principe fallacieux au demeurant…

La première chose que tu vas apprendre c’est à bosser sous brief. Et oui, avant même d’exister, ta photo c’est un “contrat” que l’agence a passé avec son client. Le client il a vu et validé une maquette, on lui a servi tout un beau concept et une claim à tomber par terre et c’est ça qu’il veut retrouver à la fin du shoot : la maquette, en un peu mieux.
On est venu te chercher pour ton style et tout mais maintenant faut que tu bosses dans LEUR cadre - qui va généralement de très étriqué et raisonnablement fermé - et tu dois les satisfaire.Tu bosses sur commande et sous pression, avec un cahier des charges précis à remplir (à exceeder même !), sous l’oeil critique d’un paquet de monde et à la fin, il faut qu’ils aient joui.

Avant le shoot, tu vas avoir le droit à 2 ou 3 réunions, dont le kick-off meeting et la fameuse PPM ou pre-production meeting. Tu as vu “99 Francs” ? Mate-le, c’est exactement ça. PPM où le directeur artistique, le directeur de création, le client, les commerciales et tout l’arrière ban vont t’expliquer la vision qu’il ont de la campagne et où toi tu vas devoir leur expliquer par le menu comment tu vas mettre ta créativité, ta technique et toute ton âme au service… de la plaquette de beurre ou du mannequin à shooter. Tu ne peux pas trop te permettre de te comporter en autiste à ces réunions, on attend de toi que tu saches parler de ton boulot pour convaincre et rassurer tant l’agence que le client lui-même.

“CONVAINCRE ET RASSURER”, c’est un peu le motto du photographe commercial en fait. Keep it in mind.

Sur le shoot, re-belote. Tu auras 15 personnes derrière ton dos et tes écrans et ils auront TOUS un avis sur ce que tu es en train de faire. Alors là, tu as le droit de les faire poliment reculer mais ils sont là, ils sont sur le plateau et ils guettent tes moindres faits et gestes et ils commentent. Relativise. Cette journée leur coûte cher et tu as une vraie obligation de résultat (*pression*) mais reste cool.

Ensuite tu vas passer en retouches. Pareil, tu seras côte à côté avec l’AD et il va falloir que vous accordiez vos violons pour sortir une image convenable. Le client va ensuite découvrir son visuel retouché et à tous les coups il ne va pas l’aimer. Du coup ça va repartir en retouche pour cette fameuse partie d’aller-retours qui peut durer… des semaines (!) et parfois tu hériteras d’un visuel tellement lissé et aseptisé que tu ne reconnaitras plus forcément ton boulot. C’est la vie ! Le client est roi.

Il faut savoir que, même quand elle a l’impression d’être gueudin, la pub a peur de son ombre et des tests consommateurs qui trouvent toujours la moindre aspérité ANXIOGENE.
Mais bon, un jour, ton visuel sera finalisé, validé, maquetté avec le beau gros logo qui va bien et tu auras peut-être le plaisir de le voir et revoir dans la presse, en vitrine ou… en 4 x 3 !!! Et que le résultat final te plaise ou non, au moins tu auras empoché du bon argent en passant.
C’est que tu voulais, non ?


. 2 - Les hauts, les bas, la perte du désir…

Après quelques années à ce rythme il est possible que tu éprouves une certaine lassitude.
Tu ne te souviens peut-être même plus de la dernière fois où tu as pris ton appareil photo… pour le plaisir. C’est un peu triste mais ça peut arriver. Tu délaisses ton travail personnel, tes recherches, tes expositions, tu perds ton mojo. Et c’est pas bon ! (ça me fait rire parce que je sais qu’en lisant ça tu te dis “Moi jamais ! Je kifferai toujours faire de la photo, surtout si on me paye pour ça. J'suis un vrai." Tsssss, tu es si jeune…). C’est pas bon parce que même si tu es rôdé de chez rôdé pour sortir un shoot beauté impeccable à la demande, quand tu “le” perds, tu “le” perds et ça se ressent un jour. Tu deviens commun, convenu, peut-être même… ringard ? Et là, tu ne bosses plus. D’autres petits jeunes ont lu ce blog et prennent ta place.
Et c’est long la retraite à 35 ans.
D’ailleurs, avec un ami, on a passé un certain temps à élaborer des formules complexes qui nous ont permis d’évaluer de manière sûre et précise la “durée de vie” d’un photographe. Il faut donc compter 10 ans pour débuter et se faire connaître, 10 ans pour cartonner (et pourquoi pas se faire des mois à 5 chiffres), 10 ans pour décliner.

Tu remarqueras :
1 ) Qu’il vaut mieux s’y atteler dès 23 ans
2 ) Qu’il est possible d’engranger du bon argent
3 ) Que le déclin est inévitable, long et douloureux
4 ) Que malgré tout ça, tu n’as toujours pas tes trimestres pour prétendre à la retraite.
Note 2016 : D’après mon expérience, il semblerait que les photographes de mode soient eux aussi victimes d’un jeunisme ambiant de plus en plus féroce. Je m’explique. Tu sais qu’il est rare qu’un mannequin bosse encore au-délà de 24 ans. On le sait, on s’en fout, c’est comme ça. Et bien, on arrive parfois à la même chose avec les photographes. A 18 ans t’as i-D qui te lèche le cul, à 23 ans ils ont perdu ton email. C’est rude. T’es de la chair à Instagram. Les gens cherchent les nouvelles sensations dont ils se détourneront en un clin d’oeil pour une autre nouvelle sensation dont l’exploit est essentiellement d’être plus jeune que toi.
CONCLUSION : Ne te comporte pas comme tous ceux vieux photographes et agents “qui ont connu l’âge d’or de la pub” ! Réjouis-toi de ce qui tombe, économise, anticipe ta reconversion. Ils m’ulcèrent tous ces vieux qui sont tombés des nues quand l’argent a cessé de leur arriver dans la gueule par camions entiers. Ils me hérissent quand ils évoquent encore, la larme à l’oeil, cet “âge d’or de la pub” (avant 2003 et 2008 en gros) où ils faisaient leur chiffre de l’année sur un seul gros coup. Ils me filent la nausée quand ils soupirent que “de nos jours il faut compter” avant de shopper chez Louboutin ou bien qu’il va peut-être falloir “attendre l’année prochaine pour pouvoir couvrir la piscine du Luberon”. Putain les gars ! Nous on n’a pas connu ça mais tout va bien merci, on s’en sort pas mal et la vie est même plutôt cool. Seulement, ah oui, il va falloir travailler, tous les jours de sa vie, se tenir au courant, se former, acquérir de nouvelles compétences, se renouveler, slasher, s’attendre à changer de métier, se contenter de vivre dans un deux pièces à Paris. Ca les vieux, ils ne l’encaissent pas mais pour nous, c'est cool. Et puis, si je me souviens bien, tes parents sont riches alors mollo sur le flip existentiel.

Bref, tu sais pas mal de choses maintenant, tu vois peut-être même un peu mieux où tu vas (oh oui flatte-moi, dis moi que j’ai changé ta vision du truc et tout !)

Allez, si t’es pas dégoûté, p’têtre qu’un jour on fera affaire, qui sait ? 

Question bonus : combien de “Yeah !” se sont glissés dans ce blog ? Réponds et gagne un contrat de représentation chez un agent connu.

(joke hein, joke)

P.S. Comme je ne voudrais pas passer à côté des futurs Mondino, Rankin, Vanderperre, Sassen ou Demarchelier… envoie-moi tout de même le lien vers ton site, comme ça, à tout hasard, on ne sait jamais.


jeunephotographechercheagent{at}gmail{dot}com
Victor Le Croate


P.S : Je NE suis PAS le bureau de Victor, ahah. Tellement pas. Mais vraiment pas. Surtout pas. Merci d'arrêter de lui envoyer des mails en croyant me parler. Moi c'est jeunephotographechercheagent{at}gmail{dot}com